Dis moi Dix mots 2024 : Deux gagnantes, deux très beaux textes

C’est avec un immense plaisir que les prix du concours Dis moi Dix mots sur le Podium 2024, organisé par l’association Mots et Yoga, ont été remis cette année à 2 gagnantes. En s’adossant à l’opération nationale, mise en place par le ministère de la Culture, le concours permet à tous les écrivants amateurs de se challenger en envoyant un texte de 7000 sec contenant au minimum 7 des 10 mots proposés par le réseau OPALE.

Le dispositif « Dis-moi dix mots » invite chacun à jouer sous une forme littéraire et/ou artistique, autour de dix mots choisis par les partenaires francophones du réseau OPALE (réseau francophone des organismes de politique et d’aménagement linguistiques). Ce réseau est composé des organismes de gestion linguistique des pays et régions francophones représentant la Fédération Wallonie-Bruxelles, la France, le Québec, la Suisse romande et l’Organisation internationale de la Francophonie (qui regroupe 88 États et gouvernements).

Neuf participants ont tenté leur chance cette année. Ils ont relevé le défi de s’approprier les mots : adrénaline, aller aux oranges, champion, collectif, échappée, faux départ, hors-jeu, mental, prouesse, s’encorder.

Voici les deux textes ex-aequo qui ont gagné le concours.

Guylaine Boulch – Mahé

Une échappée belle ? Pas vraiment !

Mahé a toujours été passionné de sport et particulièrement d’athlétisme depuis tout petit. Ses parents disaient toujours à qui voulait les entendre : il savait à peine marcher qu’il courait déjà. Forrest Gump dans l’âme !

Il avait toujours eu le soutien indéfectible de ses parents. Il était fils unique et était arrivé sur le tard, ses parents étaient déjà des quarantenaires. Ni l’un ni l’autre n’étaient sportifs et ils se demandaient bien ce qu’il lui passait par la tête d’aimer courir comme ça, mais bon si c’est ce qu’il voulait.

Ils ont toujours eu de petits moyens et les premiers équipements, pour certains, ont été cousus par sa mère bien qu’elle était une piètre couturière. Et pour les autres, bricolés par son père. On ne peut pas dire que la panoplie était d’une grande beauté, ce qui attirait l’ironie des autres concurrents, mais Mahé s’en moquait. Tout ce qu’il voulait c’était gagner, le reste importait peu.

L’adrénaline c’était ce qu’il recherchait. Il faisait partir d’un collectif de coureurs passionnés comme lui dans son petit village de montagne. Un mental d’acier voilà ce que disait son coach de lui.

C’est pourquoi, ce matin, il est prêt pour l’ultratrail de la Chartreuse Terminorum Challenge. Un parcours de 300 kilomètres avec 25 000 mètres de dénivelé. Chaque boucle de 60 kms doit être réalisée en moins de 16 heures et surtout avant « la sonnerie au mort ». Ce n’est pas donné à tout le monde et Mahé veut y croire. Une prouesse de plus à son arc, voilà tout ce qu’il souhaite.

Un autre concurrent a attiré le regard des médias. Pierre, fils cadet de la famille De Perousse, donc du maire de Chambéry, est aussi en lice pour la victoire.

Mahé et lui c’est la haine depuis tout petits, Pierre n’a cessé de mettre des cailloux dans sa vie. Il est mauvais et ne peut s’empêcher de le provoquer. Combien d’heures de colle il lui doit, combien de lèvres abimées et d’œil au beurre noir ? il ne veut même pas en faire le compte.

Les rumeurs disent que Pierre a toujours été dans l’ombre de son frère aîné plus vieux de 15 ans. Ecole, métier, il ne lui arrive pas à la cheville. Ses parents ont toujours été extrêmement fiers de l’aîné. Il a tout réussi même sa mort ! Il était militaire de la force Barkhane et est mort en héros au Sahel. Il paraît que la maison des vieux est couverte de ses photos.

Mahé entend tout ça mais ne le comprend pas. Pierre n’avait qu’à s’améliorer et devenir lui-même un champion.

La corne de brume sonne et c’est parti pour 5 jours de compétition.

Les jours se suivent et le nombre de postulants ne cessent de diminuer. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que c’est la course la plus difficile de France. Les nuits complètes dehors ont eu raison de beaucoup.

On arrive à la dernière des 5 boucles, Mahé a réussi à finir les 4 boucles précédentes dans les temps et il n’est pas peu fier. Peu arrive à la fin et il veut y croire.

Bientôt le départ et Mahé sent Pierre se coller à lui et ses poils se hérissent instantanément sur tout son corps.

  • Alors le Mahé, tu crois sérieusement que je vais te laisser gagner ? Le premier français qui va gagner cette course sera moi ! Toi tu ferais mieux d’aller aux oranges tout de suite, t’aura moins mal, dit-il de sa voix railleuse.

Mahé hausse les épaules et lui dit :

  • Qu’est ce que tu n’as pas compris dans le mot fair-play ? T’as jamais rien compris au sport, dégage abruti !

Mahé s’éloigne de lui et se prépare à se lancer mais c’était sans compter sur Pierre qui le pousse et le fait franchir la ligne de départ. Un sifflet retentit et on montre Mahé du doigt en hurlant : faux-départ ! Non ! il n’y croit pas, à cause de l’autre con, il prend des points de pénalités. Mahé est hors de lui.

Il va le payer ! Mahé le laisse partir devant et reste un peu en retrait. Il n’a jamais senti la haine le gagner à ce point.

La journée se passe et le soleil se couche quelques kilomètres avant la fin de la boucle. La nuit tombe doucement et Mahé veut profiter du moment entre chien et loup pour se venger.

C’est la dernière ligne droite, il n’y a plus que quelques participants, les rangs se sont encore clairsemés. Mahé profite d’un détour qui les isole et coupe la vue aux autres, il s’approche discrètement de Pierre.

  • Hors-jeu ! lui hurle t’il dans l’oreille, le faisant sursauter vivement.

Pierre dérape au bord du chemin et bascule dans le vide en poussant un cri strident.

Mahé est atterré, il n’a jamais voulu ça. Il voulait le faire chuter pour prendre les devants mais certainement pas le faire tomber dans le ravin. Son cœur bat à tout rompre. Il s’approche doucement du bord et jette un coup d’œil. Pierre n’est pas visible, il hésite à se pencher un peu plus mais un autre participant arrive dans son dos.

  • Ne te penche pas comme ça, tu veux mourir ou quoi ? lui crie t’il en le dépassant.

Mahé fait un bond en arrière et ne sait plus quoi faire. Un assassin voilà ce qu’il est devenu. Pas le choix pour ne pas être accusé, il doit continuer. En même temps, il ne l’a pas poussé. On ne pourra rien prouver, un stupide accident !

Mahé essaye de se raisonner et repart sur le circuit. Ce connard de Pierre n’a eu que ce qu’il méritait.

Déterminé comme jamais, Mahé reprend du poil de la bête et double les derniers concurrents. Il finit en tête la dernière boucle avec de bonnes minutes d’avance sur la sonnerie de la mort.

Des cris de joie l’entourent, on le touche, on le congratule, on lui tape sur l’épaule. La victoire est pour lui ! Le premier français à gagner ce trail. Ses parents le serrent dans leurs bras, souriants, tellement fiers !

Mahé se force à sourire mais le froid a envahi son cœur. Comment se réjouir de gagner quand on a tué ? même involontairement. Et si Pierre n’était pas mort ? il n’a même pas prévenu les secours bon sang ! On ne voudra jamais croire qu’il est innocent. De toute façon, il ne donne pas cher de sa peau s’il passe la nuit dans le ravin.

Cette coupe sera sa croix à porter et il ne s’en séparera jamais pour ne pas oublier quel monstre il est devenu.

Les années passent, on n’a jamais retrouvé le corps de Pierre malgré les opérations de secours lancées dès le lendemain de la fin de la course. Ses parents se sont laissé mourir de chagrin. Deux fils, puis plus rien.

Mahé, devenu l’ombre de lui-même, n’a plus jamais participé à une course et n’a plus couru. Il n’a pas pu quitter le village et a gonflé comme une outre, chargé de vin et d’excès en tout genre. Ses parents n’ont jamais compris pourquoi il avait tout arrêté. La coupe de la honte a longtemps été sur leur cheminée. De nombreuses photos de sa victoire ont également figuré sur la commode malgré ses demandes incessantes pour les voir disparaître.

Après leurs décès, Mahé, héritier de la maison, s’est empressé de les détruire à grands coups de marteau, comme si cela allait effacer son crime.

Fin 2023, un chasseur a découvert des ossements dans la vallée. Il s’est avéré qu’ils étaient humains. Le corps de Pierre serait-il en train de réapparaître ? Mahé frissonne.

Isabelle HYVERNAGE – Malik

Malik, la victoire ou le chemin de la persévérance.

Dans les rues animées de Dakar, cité bouillonnante d’énergie, vivait Malik, un jeune garçon de 14 ans. Né dans l’obscurité d’une cécité absolue, il se distinguait par une passion effrénée pour le football, ce jeu où se mêlent les émotions les plus vives. Depuis sa plus tendre enfance, il écoutait assidument les récits radiophoniques des matchs, imprégnant son esprit de la magie du sport roi. Malik naviguait avec habileté, malgré sa cécité, dans les ruelles de sa ville : chaque son, chaque texture sous ses pieds lui murmurait les secrets du monde.

Mais dans cet univers qui semblait familier, il avait aussi appris à connaître la solitude, une compagne silencieuse qui l’accompagnait depuis son plus jeune âge. Il se rappelait les jours de son enfance, où les autres enfants le regardaient avec une curiosité mêlée de méfiance. Son handicap était un mystère pour eux, une énigme qu’ils ne pouvaient comprendre. Et dans cet océan d’incompréhension, naissaient des relations compliquées, teintées de maladresse et de préjugés. Il se souvenait des chuchotements à peine voilés, des conversations interrompues dès qu’il s’approchait. Son handicap était comme une barrière invisible, une frontière infranchissable qui le séparait du monde qui l’entourait.

Pourtant Malik était d’un naturel joyeux et refusait de se laisser abattre. Il avait trouvé refuge dans le football, ce sport qui transcendait les barrières de la langue et de la perception. Sur le terrain, il se sentait libre, égal parmi ses pairs, guidé par son instinct et son talent naturel.

Ses amis, parés de leurs téléphones, plongeaient leurs yeux sur des vidéos de foot de la plateforme TikTok et lui en faisaient le récit ; Malik avait très envie d’être filmé pour partager sa passion avec le monde entier. Ses frères le filmaient et on le voyait s’élancer à la poursuite du ballon avec sa technique personnelle bien rôdée. Ce fut comme une fenêtre ouverte sur le monde, une incursion dans son univers, une invitation à partager sa vision personnelle et unique du football. Il excellait dans ce domaine : chaque instant de sa vie était dédié à parfaire ses talents, à ressentir le jeu à travers le toucher et le son, à sculpter son destin dans les rues poussiéreuses de sa ville natale. Les vidéos de Malik devinrent virales, traversant les frontières et les océans, attirant l’attention d’un homme dont le nom résonnait dans le monde du football : Javier Martinez, entraineur espagnol.

Ce fut alors le début d’une promesse extraordinaire pour Malik qui avait alors 15 ans. Sous les auspices bienveillants de Martinez, il traversa les océans pour rejoindre les rangs d’une équipe de jeunes prodiges en Espagne. Pendant deux années, il s’entraina au sein de l’équipe des espoirs. L’apothéose de son parcours survint lorsqu’il fut sélectionné pour représenter l’Espagne aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, un événement où les rêves se façonnent dans l’acier de la compétition.

Pourtant, dans les coulisses de l’équipe espagnole, Malik faisait face à un défi inattendu : les jeunes espagnols n’avaient pas l’intention de céder leur place à un étranger qui venait tout juste d’apprendre à parler leur langue. Une relation très conflictuelle avec un autre joueur, Carlos, se durcit au moment des sélections. Lorsque Javier Martinez annonça la sélection de Malik, la déception de Carlos fut palpable, teintée d’une pointe d’amertume. Carlos était relégué au poste de joueur remplaçant et il voyait en Malik un intrus, un étranger qui lui avait volé sa place dans l’équipe. Leurs interactions étaient marquées par une rivalité sourde qui se manifestait à travers des échanges houleux.

Pour Malik, cette situation était difficile à vivre. Il avait toujours été un joueur d’équipe, privilégiant la camaraderie et la solidarité sur le terrain. Mais avec Carlos, chaque entraînement devenait un défi, chaque match une épreuve de volonté et de maîtrise de soi.

Malgré les tensions, Malik refusait de céder à la rancœur. Il savait que la route vers la victoire passait par la cohésion et la solidarité. Peu à peu, il s’efforça de construire des ponts avec Carlos, de lui montrer qu’ils étaient sur le même bateau, qu’ils partageaient le même rêve.

Arrivés en août 2024 pour la première fois à Paris, sur le sol sacré du Champ de Mars, au pied de la majestueuse Dame de fer, la Tour Eiffel, Malik ressentit l’étreinte de l’excitation. Dans l’arène du jeu, Malik se fondait dans une harmonie parfaite avec ses compagnons d’armes, jouant collectif avec une précision millimétrée. Ses pas étaient guidés par l’écho des voix et des mouvements qui l’entouraient, sa vision du monde façonnée par l’intensité du moment.

Au moment de fouler le terrain du Champ de Mars, Malik et Carlos étaient enfin prêts à mettre de côté leurs différences pour le bien de l’équipe. Ensemble, ils affrontèrent les meilleurs joueurs du monde, unis dans leur quête de gloire et de victoire. Et dans ces instants de pure adrénaline, où le temps se dilate et se fige, Malik savait trouver refuge dans ses points d’ancrage issus de ses moments de méditation et de yoga, avec un mental d’acier pour affronter les épreuves avec sérénité.

La finale fut un ballet effréné d’émotions, où chaque geste pouvait changer le cours de l’histoire. Dans les derniers instants du match, alors que l’horloge tournait inexorablement, Malik se retrouva face au but. Dans un élan de grâce et de détermination, dans une ultime échappée, il décocha un tir magistral, propulsant le ballon dans les filets avec une précision chirurgicale.

Le stade éclata en une symphonie de joie et d’allégresse.

Malik avait inscrit le but victorieux, scellant le destin de son équipe et gravant son nom dans les annales du sport. Sa prouesse, son audace, son courage avaient transcendé les frontières de l’impossible, inspirant des millions d’âmes à travers le monde. Carlos, assis sur le banc des remplaçants, éprouva une énorme joie et fierté au moment du but gagnant ; il comprit alors que c’était la victoire de toute une équipe, mais aussi un triomphe de la solidarité sur l’adversité.

Ainsi, le jeune prodige aveugle de Dakar, devint une légende vivante du football, un symbole de résilience et de détermination. Et tandis qu’il levait les yeux vers le ciel étoilé de Paris, Malik su que rien, ni la cécité qui avait marqué sa naissance, ni les obstacles semés sur son chemin, ne pourraient jamais éteindre la flamme qui brûlait en lui.

Aujourd’hui sur le podium, sacré champion, roi du ballon, Malik se souvient de tous ces moments où il se sentait seul, incompris. Il sait que ces épreuves l’ont forgé, qu’elles ont fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui. Il prend conscience que chaque obstacle sur son chemin n’était qu’une étape vers la victoire finale. II savoure ce moment en pensant à sa famille restée à Dakar derrière son poste de télévision.

Publié par

marielaine

Animatrice d'atelier d'écritures et guide en Yinyoga

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